Je suis Zineb Soulaimani et je suis revenue habiter à la Goutte d’Or début 2020. Et entre fin 2015, l'année où j'avais déménagé et aujourd'hui, le quartier a encore changé. Il s'est encore endurci. Les mecs des bandes sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux et de plus en plus "envahissants" pour une fille comme moi, quand elle ne fait que traverser les trois rues chaudes, pour partir ou rentrer chez elle. Visiblement, nous n'avons pas toutes le même vécu de ce quartier. Entre ma voisine, mère célibataire, qui a plus peur pour son jeune enfant que pour elle et une autre, qui a trouvé la stratégie de toujours quitter l’immeuble sur son vélo tout en me disant, la différence pour moi c'est que je ne comprends pas ce qu'ils me disent. Alors que moi si ! Et à chaque fois c'est une violence sourde, une provocation qui me fait sortir de mes gonds. Qui fait sortir de moi des réactions vives et presque dangereuses parfois. Depuis quelques mois, je réfléchis à ce qui a motivé mon retour dans ce quartier, hormis le prix des loyers parisiens ! Et pendant le mois de ramadan de cette année, j'ai eu de nouvelles réponses. Je ne pratique plus depuis mon arrivée en France en 2004. Et le ramadan pour moi, à part être un lointain souvenir de retrouvailles autour d'une table bien garnis de délicieuses recettes, ce n'est plus ma réalité depuis presque 17 ans. Mais peut-être que revenir dans ce quartier est une manière de réactiver des souvenirs...(sans devoir rentrer au Maroc). Des souvenirs violents de rapports aux hommes maghrébins ? Des souvenirs joyeux de cuisine délicieuse et surtout généreuse ? Les questions restent ouvertes… Le ramadan pour la communauté musulmane pratiquante est un mois où la vie est décalée. Et beaucoup rythmée par le jour et la nuit : une certaine gourmandise et joie du partage, et un temps de jeûne et d'abstinence. Ce qui oblige les commerçants du quartier à décaler leurs horaires d'ouverture. Seulement avec le couvre feu et la présence policière manifeste et conséquente, une série d'altercations et de tensions est visible au regard de tous quotidiennement, avec un climax à l'approche du couvre feu de 19h. Assister à ces scènes m'a donné un sentiment d'injustice et de solidarité vis-à -vis de ces personnes, qui cherchent à vivre leurs rituels dans un contexte très contraignant; alors qu’habituellement je suis à cran lorsque nos regards se croisent. L'autre événement est arrivé un soir en rentrant chez moi vers 19h20. En passant devant un restaurant, une grand-mère, visiblement cuisinière dans l'un des restaurants, distribuait des boites avec des portions de tajine au poulet-olive tout chaud. Nos regards se sont croisés au moment où je cherchais à comprendre la situation et elle m'a naturellement tendu une boîte. Une boite que je n'ai pas refusé. D'abord ça ne se fait pas et puis surtout, je crois qu'à ce moment-là, j'ai compris pourquoi je suis revenue vivre dans ce quartier. J'étais encore dans cette émotion quand un homme maghrébin aussi, distribuait du pain traditionnel tout juste sorti du four, et m'a tendu un pain pour moi aussi. Depuis, je réfléchis à des manières de rencontrer ce quartier, de mieux le connaître et je suis tombée par hasard sur le travail d'Elena Perlino, une photographe documentaire d’origine italienne, qui habite aussi le quartier de la Goutte d'or...
Pour mieux connaitre le travail d'Elena Perlino http://www.elenaperlino.com/